Love and sexe en noir et blanc. Reportage

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Entre attirances, héritages de domination, vies de couples, effets de mode et contraintes sociales, la relation noir-blanc et noir-noir, cherche encore sa liberté dans une société qui, tout en étant multiculturelle, reste hiérarchisée. Y compris dans sa vision des corps…

Bon cette fois, ça y est : le couple mixte, symbole d’un idéal métissé, c’est mort ! Le Get out de Jordan Peele a transformé le mythe en cauchemar! Ce film d’horreur joue habilement sur les légendes complotistes -vous savez : le monde travaille à éliminer les Noirs de la planète!- et quoi de mieux que l’appât sentimentalo-sexuel pour les attirer dans le plus sombre des guet-apens?  Celui qui vise l’extermination de l’âme noire…

Plus sérieusement, la vision interraciale (version hard) ou métissée (version soft) du couple moderne ne fait pas ou plus l’unanimité, loin de là. Elle agace même lorsqu’elle est érigée en mode.

«Ce qui m’énerve vraiment, c’est le côté tendance de la chose. Franchement ça me saoule. Bon ok, je suis une jolie (elle rigole) Caucasienne et mon mec est black mais voilà, y a pas de quoi en faire une histoire. La plan de la balade du samedi aux Halles (quartier parisien branché, des ados aux trentenaires) ou les renois exhibent leur Blanche et les Blanches leur Black, très peu pour moi». Sandra, 24 ans, blonde esthéticienne à Paris, en couple depuis deux ans avec Rodney, même âge, employé de banque d’origine haïtienne, s’emporte vite dès qu’on la branche sur le sujet.

Des projets de bébé métis !

Sur Facebook, ce jeune photographe afro poste : Blanche, Black à Black, Rabza à Blanche, Rabza à Rabza et même Black pour femmes rondes (…) À notre époque, écrit-il, on trouve des gens qui se collent des catégories de per­sonnes à aimer. J’ai l’impression d’être dans une sorte de magasin (…) Ma copine est blan­che mais c’est pas sa couleur qui m’a attiré en premier, donc arrêtez avec vos groupes bizar­res, les mecs. Je sais que c’est juste pour vous serrer une meuf. Et SVP, les filles, arrêtez aussi avec vos projets de bébé métis, c’est soûlant, on dirait que c’est devenu une mode.

Bon, voilà c’est dit!

Sur le web, les sites dédiés au sexe (ou love) black and white, avec toutes les variantes possibles, homo ou hétéro, se développent à la vitesse grand V. Pour Carole Liancourt, psychothérapeute en écriture d’une thèse sur le thème « désirs, mixité et société », «la recherche abso­lue de mixité, tout autant que le refus de se mélanger, constituent l’envers et l’endroit de la même médaille. La recherche ou le rejet d’un autre qui soit racialement ou (version soft) culturellement différent ont en commun de faire une fixation sur cette question. Dans certains milieux, les couples mixtes, surtout noir-blanc, sont une nouvelle mode, voire une nouvelle norme. D’ailleurs beaucoup se retrouvent entre eux, particulièrement les quadras (le sujet reste, pour eux, plus transgressif que pour les jeunes) et forment des micro-communautés. Et c’est vrai que tout le délire sur les enfants métis est effecti­vement assez effrayant.»

La question des enfants métis est devenue si présente  que j’avais développé tout un sujet autour pour le site Aufeminin.com à travers un reportage intitulé Magnifiques, les enfants métis? Premier constat de cette enquête publiée en 2013 : sur les 20 couples interviewés, 4 seulement étaient mixtes du fait du hasard d’une rencontre, les 16 autres s’étaient trouvés avec la ferme intention de former un couple interracial comme disent les Américains. Attention: le chiffre n’a pas, en soi, de valeur statistique, il pourrait être seulement significatif des motivations des couples ayant souhaité participer aux interviews. Mais cela dit tout de même quelque chose de cette fameuse tendance qui énervait la jeune esthéticienne citée plus haut.

Je kiffe qui je veux !

Quand on évoque le sujet chez les plus jeunes, ados et jeunes adultes, la plupart des garçons n’y voient aucun problème, à peine le sujet d’un article! En gros : chacun kiffe qui il veut, point barre. Pourtant, en grattant un peu, certaines questions surgissent : la profusion de couples Noirs-Blanches par exemple, bien plus «en vogue» que la situation inverse (Blancs-Noires), la difficulté d’être un couple fille arabe/garçon noir, ou encore le peu d’attrait des filles noires pour les garçons arabes. Bref : dès qu’on creuse, les exemples fusent et ces jeunes gens ont finalement cinquante anecdotes à raconter. Sans porter de jugement, ils se rendent aussi compte que préférer (systématiquement) un-e partenaire blanc-blanche ou noir-e ne signifie pas tout à fait la même chose que de flasher sur les châtains, les rousses ou les dreadlocks. Bref : qu’il y a d’autres enjeux. Les mots sont importants : s’interroger sur cette tendance ne revient pas à accuser les personnes polarisées sur un physique d’être des névrosés, des racistes ou des obsédés, encore moins les trois à la fois. Non, certains-es le vivent simplement comme une préférence qu’ils-elles ne veulent pas cantonner au sexuel : ils préfèreront donc construire une relation avec une personne qui comble aussi cette préférence. Même si les négrophiles, arabophiles (blancophiles?) addicts font, dans certains cas, des fixettes assez étranges…

Dans un même temps, des femmes, et des gays aussi, dénoncent la possible inclusion du racisme dans une relation amoureuse et/ou sexuelle. Le blog afroféministe décolonial voodoopussy publie une liste de conseils à l’usage des femmes noires sous le titre Ton chéri blanc est-il raciste ? Extraits : Alors, si ton partenaire du moment dit ou fait les choses suivantes, largue le! 1.Il te dit qu’il n’a jamais «essayé»  avec une Noire (si cette phrase est lancée pour te draguer, gifle ce monsieur et enfuie toi) 2.Il t’appelle «mon chocolat»  ou  «mon cacao» (il n’appellerait pas une Blanche  «mon verre de lait » ou «ma mayonnaise» n’est-ce pas?) 3.Il te dit qu’il ne sort exclusivement qu’avec des femmes noires/il est obsédé par les femmes noires (tu n’es qu’un objet de fétichisation pour lui, meuf prends tes affaires et pars) /

Dans son remarquable documentaire Ouvrir la voix Amandine Gay souligne, à travers différents témoignages et analyses, l’animalisation et l’érotisation des femmes noires. Une violente réduction et une chosification insupportable dénoncées par l’afro-féminisme.

Dans son dernier et brillant essai Le ventre des femmes (Albin Michel), la politologue Françoise Vergès démontre l’aveuglement d’un certain féminisme à la condition des femmes dites racisées.

«En tant que femme noire, être exposée au désir d’un homme non-noir qui a toujours été en couple avec des femmes noires, ça me donne l’impression de n’être qu’une Noire», souligne l’auteure Rokhaya Diallo dans son interview pour TOTEM. «Le désir est rarement politiquement correct, ce n’est pas sa fonction», nuance Carole Liancourt.
Maïmouna, 40 ans, souligne un certain désarroi de nombreuses femmes noires, quadras et célibataires : «Je n’ai pas de chiffres, c’est juste un sentiment mais j’ai vraiment l’impression que les hommes noirs se détournent assez massivement vers des femmes blanches ou même arabes, c’est étrange quand-même, non ?»

Des situations complexes à évaluer. Reste que la représentation du Noir, de la Noire, du Blanc, de la Blanche n’est pas seulement une histoire de sentiments et d’esthétique individuelle, mais qu’elle se trimballe un sacré héritage. Pour Maboula Soumahoro, maître de conférence à l’université de Tours, initiatrice du Black History Month en France, «puisque l’histoire a inventé le Noir, tout comme elle a inventé le Blanc, il est évident que les visions du corps noir aujourd’hui encore est tributaire de cette histoire.»

Revenons aux réactions des 18-25 ans interrogés pour cet humble article… Les filles, elles, identifient assez immédiatement le background qui impacte, en partie, les relations noir-blanc. Et en parlent spontanément dès qu’on évoque le sujet sans qu’on ait besoin de leur tendre la perche. Peut-être parce leur choix est d’avantage contrôlé par la société, plus vite critiqué et ramené à un cliché. Trois copines lycéennes du Blanc-Mesnil, Paula, Hadiyatou et Leïla, nous les résument: «Alors les Blanches qui sont avec des Renois, on en fait un truc fashion ou un truc sexuel, les filles rebeu avec des Renois deviennent des traitres. Si le Renoi est chrétien, c’est qu’elles veulent le convertir. S’ils est musulman, pour beaucoup de rebeus ça reste un musulman de seconde zone et une Renoi avec un Blanc, alors là c’est Laisse tomber, c’est une pauvre fille, quoi».

Liens familiaux

Cécile et Lucas, 32 et 33 ans, assument. Pour ce couple lyonnais, cette attirance qu’ils partagent n’a rien à voir avec une mode mais, bien au contraire, avec une conviction intime qui, chez eux, remonterait à l’enfance. Lucas raconte : «En fait dès l’école maternelle j’étais fasciné par les petites filles noires. Ça s’est confirmé à l’adolescence et quand j’ai rencontré Cécile, originaire de Guadeloupe, elle m’a expliqué ressentir la même chose depuis toujours pour les garçons blancs». «Ce qui en Guadeloupe n’avait rien d’évident» précise Cécile. La poétesse Nefta Poetry nous le rappelle dans son interview : «Aux Antilles, on ne se blanchissait certes pas par la peau, mais on le faisait par le mariage : pour sauver la peau comme le dit l’expression. Se marier avec un Blanc ou une personne plus claire que soi permettait d’avoir des enfants ayant des attributs plus valorisés par la société : des cheveux plus lisses, une peau plus claire…«Même aujourd’hui, beaucoup pensent encore que je suis avec lui par intérêt, témoigne Cécile, pour avoir une bonne situation, ce qui est assez incroyable vu que je suis avocate dans un grand cabinet, et que je n’ai vraiment pas besoin d’un mari blanc pour m’en sortir!»

Il y a aussi des cas extrêmes, certes très minoritaires, mais qui, de manière inattendue, peuvent renvoyer à des préoccupations partagées par un plus grand nombre.

Petra, 40 ans, est allemande, elle vit à Paris depuis 12 ans. Elle raconte : «C’est vrai que je me suis installée ici parce qu’il y a relativement peu d’Africains à Munich et que cela serait plus facile de vivre à Paris. Je sais, ça peut paraître dingue mais… de toute manière mon histoire est dingue.» Petra a été violée durant près de 10 ans par son père, un notable très en vue à Munich. L’homme est aujourd’hui décédé. «J’avais un tel dégout des hommes, j’ai voulu être lesbienne mais ça n’a pas marché : je ne suis pas gay. Finalement mon inconscient a trouvé ce compromis : une relation avec un homme noir est possible car je ne peux pas projeter sur lui l’image de mon père.»

Et cette histoire extrême trouve des résonances dans un certain nombre de témoignages pourtant hors du contexte violent que Petra a vécu… Moussa, 20 ans : «Je préfère avoir une relation avec une fille européenne parce que sinon ça me fait trop penser à ma sœur et ça me bloque.» Moussa ne sera pas le seul à évoquer cet aspect lors de mes entretiens…«Je pense que c’est une excuse, commente dans son interview la réalisatrice Alice Diop. Je n’ai jamais entendu un Blanc dire ça, je crois que ça raconte la manière dont on grandit comme Noir dans une société où on est une minorité.»

Voyage, voyage !

Souvent, un couple noir-blanc n’a pas forcément conscience des clichés auxquels il peut être renvoyé avant de… faire un voyage ! Voilà quelques récits de vacances très éclairants.

Claudine, 38 ans, en week end avec son amoureux chez sa mère en Picardie : «Alors moi, la Marseillaise d’adoption, quand nous sommes arrivés chez ma mère, je n’avais pas conscience que mon chéri puisse encore être un Ovni dans certaines régions de France. Le choc! Lui m’a dit : Tu aurais pu me prévenir, mais c’était juste absent de ma tête. Ce qui à ses yeux n’était pas une excuse : Quand on est avec un Noir, on n’oublie pas ce genre de… détail. Ça a failli mal tourner entre nous, heureusement ce n’était qu’un week-end.»

Stéphanie, 40 ans, en voyage au Cameroun, son pays d’origine avec Thierry, son compagnon blanc : «Au pays les choses ont changé, j’ai été vraiment heureuse de le constater. Désormais une femme noire avec un homme blanc, ça peut être un vrai couple. Avant, elle était automatiquement vue comme une prostituée et c’était souvent le cas.»

Claudia, 35 ans, blonde en voyage au Sénégal avec son lover Antony, originaire du Ghana. «Sur place, j’ai failli me teindre les cheveux en châtain pour être moins voyante. A l’hôtel, pour tout le monde, surtout pour les clients, je voyais que je n’étais que la blonde avec un Black, horrible ! En plus j’ai dix ans de plus que lui, alors là c’était la mort… ça fait 6 ans que nous sommes ensemble, nous avons un enfant. Etre ramenée à ça a été une expérience très dure à vivre.»

L’héritage du corps en noir et blanc

Exposition de Nantes 1904 – Le village noir – Sénégalais champion de lutte. (Carte postale)

Ce que bon nombre de couples et d’individus ne maitrisent pas, c’est que les relations noir-blanc n’existent pas seulement par les rencontres amoureuses ou sensuelles d’aujourd’hui. Elles sont aussi les héritières d’un passé qui a imprégné nos visions des corps jusque dans nos fantasmes. «Au siècle dernier, explique Carole Linacourt, la fas­cination s’exerçait surtout dans le sens hom­mes blancs attirés par des femmes noires. Ça a changé : l’homme noir est, désormais lui aussi, au centre de cette attirance, même si la mythologie qui l’entoure n’est pas nouvelle (Frantz Fanon la dénonçait déjà en 1952 dans Peau noire mas­ques blancs). Certains hommes noirs en sont d’ailleurs devenus, eux aussi, acteurs. L’imagerie dévelop­pée par certains rappeurs (et parmi les plus médiatisés, ce qui n’est bien sûr pas un hasard) reprend toute la série des fantasmes coloniaux. Finalement, le Black is beautiful des an­nées 70 -une lutte pour se libérer des regards blancs- a été complètement détourné de son origine.»

Ibrahim, éducateur, confirme : «La société donne quelques miettes aux jeunes Noirs, tu es sexy, c’est bon, et beaucoup reprennent le rôle qui leur est tendu, c’est une manière d’exister. Le Story Teller Karim Madani rappelle pour TOTEM que dans les clips de Gangsta rap américain, «les vidéo-girls sont des Noires qui n’ont pas la peau foncée».

Pascal Blanchard, dans son interview revient sur l’héritage colonial : «Dans les colonies, les rapports de domination induisaient de manière évidente un rapport au corps spécifique selon les populations.»

Monsieur G.L., grand collectionneur d’images coloniales raconte :  «L’apparition du corps noir dans la photo coloniale, et dans les exhibitions qui drainèrent des millions de visiteurs dans toutes les villes de France, mais aussi dans toute l’Europe, c’était une irruption de l’étrangeté. Des corps noirs dans une France où être le plus blanc possible était un signe extérieur de richesse (en opposition aux tra­vailleurs qui, exposés au jour, étaient hâ­lés) ! Et, bien sûr, des corps très dénudés. On n’hésitait pas à dévoiler les seins des fem­mes pour les photos ou pour les expositions d’Africains dans les « zoos humains ». Des corps de femmes dévoilés (certes, derrière des barrières) et des corps d’hommes. C’était aussi la découverte du mouvement, donc de l’érotisme , dans un temps où non seulement on cachait son corps, mais on allait jusqu’à l’enfermer dans la raideur : faux cols, corsets, vêtements amidonnés… Ils étaient noirs, dénudés, et ils bougeaient. La damnation des damnations ! Le corps noir, c’était le diable avec toute la fascina­tion qu’il engendre.»

 

Sur l'auteur

Auteur, éditorialiste, il travaille sur différents enjeux et dynamiques autour de la France plurielle (société, culture, économie, histoire, religions…) et dirige le média dailleursetdici.news. Il développe également des fictions (romans, scénario..) et collabore à différents médias.

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